Notre expert
Christian Auriach est « scénariste d’entreprise ». Après avoir été industriel, banquier puis associé d’un groupe de conseil, il a fondé en 2013 le cabinet de conseil en stratégie Scenent. Il enseigne à ESCP Europe.
Le Consulting est mort. Vive le Consulting.
Le métier de consultant mute tous les vingt ans. Depuis le milieu du vingtième siècle, les consultants se réinventent sans cesse. D’abord diagnostiqueurs, puis prescripteurs, enfin acteurs du changement, les voilà aujourd’hui au milieu d’une nouvelle ère, celle des préventeurs. Ils prédisent, scénarisent, exploitent des données de masse pour aider leurs clients à discerner des voies logiques et prévenir les grands risques. Car qu’est-ce que gouverner en 2020, si ce n’est éviter de prendre une mauvaise décision, ou de ne pas en prendre alors qu’il est nécessaire de le faire ? Il suffit de se baisser pour ramasser une idée, certes, mais comment choisir la bonne ?
Choisir la bonne idée
Lettre d’un consultant à son client : « Cher Client, vous hésitez entre construire un réseau d’usines en Inde, former vos 100 000 employés à la collaboration créative et racheter votre principal concurrent. Dans tous les cas, cela vous coûte un demi-milliard d’euros. Avant d’aller plus loin, comment vous voyez-vous dans trois ans, dans sept ans ? Quelle place voulez-vous occuper dans le concert mondial ? Vous ne le savez pas. Posons-nous la question ensemble. Une fois la réponse connue, nous en déduirons le chemin de transition adéquat ». Voilà ce qu’idéalement un consultant et son client devraient se dire au début de toute relation d’affaire. Avant de faire un choix stratégique, savoir où l’on va et pourquoi. Cela passe inévitablement par une anticipation de l’environnement économique à venir, sans jamais en être sûr. Comment faire ? En établissant des jeux d’hypothèses et des scénarios.
Un métier qui s’apprend dans l’action
Il n’existe pas d’école pour apprendre à scénariser l’avenir d’une entreprise et de son écosystème. Il y faut à la fois de la créativité, de la rigueur, des compétences dans des domaines très variés ou tout au moins la capacité à synthétiser les acquis de ces diverses disciplines. Voilà pourquoi un bon consultant se forme sur le tas, sur le terrain, enregistre des progrès soudains et inexpliqués à la faveur d’une nouvelle mission, après avoir longtemps cherché la bonne méthode sur les précédentes. La démarche ressemble à celle d’un chercheur dans son laboratoire, à la différence qu’ici, le laboratoire est l’univers professionnel – plus ou moins large - que s’est choisi le consultant.
Un métier tout court
À la façon des compagnons du tour de France, les consultants se transmettent leur savoir, leur savoir-faire et leur savoir-être grâce à la tradition orale. Rares sont les ouvrages qui compilent la somme de connaissances nécessaire pour devenir un vrai consultant, celui ou celle qui en a la véritable vocation, laquelle ne peut être confirmée que par un enchaînement de succès analogue à celui d’un artiste sur scène. Car chaque animation d’atelier recèle une part d’incertain, la possibilité qu’un ou plusieurs participants bloque un processus créatif, que le cas d’étude soigneusement préparé pour illustrer un modèle économique tombe à plat, à défaut que l’on ait perçu la culture de l’entreprise avec suffisamment de précision. Chaque livraison de recommandations est une occasion de remettre en cause des décisions précédentes dont la persistance peut se révéler dramatique – est-on bien sûr d’avoir trouvé les bons arguments ? Si le talent aide, seule l’expérience, l’accumulation de missions de conseil semble permettre de gagner en sérénité dans l’exercice de ce métier à haut risque, même si le trac ne disparaît jamais complètement. On ne s’improvise pas consultant : on le devient en acquérant des connaissances.
Petit consultant deviendra grand
Pour conclure, donnons la parole à un vieux routier : « si vous pensez maîtriser un métier, quel qu’il soit - industriel, bancaire, artistique, … – n’en déduisez pas que vous pouvez devenir du jour au lendemain un bon consultant dans votre domaine ; il vous reste à apprendre à le devenir. Alors lisez, échangez, rencontrez et surtout testez-vous, d’abord sur de petits enjeux dans des structures ou des départements à taille humaine, puis visez un peu plus grand et plus haut, progressivement, jusqu’à embrasser vraiment large. Cela vaut le coup, car ce métier est le plus beau du monde : il refuse la fatalité de la complexité stérile ». Prenons-en de la graine !
Par Christian Auriach, auteur avec Pierre Blouvac et Thierry Boudès de Pro en Consulting, à paraître 2 octobre 2018 en librairie, 25,90 €.